Le carton
C’est le troisième verre de thé chaud et parfumé aux herbes orientales que je sirote en compagnie du Chibani, mon vieillard de père.
Papa s’est réveillé de mauvaise humeur et je sais pourquoi. Je sais que c’est toujours dur de se quitter. Quitter ce qu’on aime est affreux et j’en sais quelque chose. Je suis triste moi aussi. Ce soir je prendrai le train pour rentrer chez moi.
Au fond de la cuisine, la compagne de mon père est entrain de faire cuire le pain. Il sent fort et très bon, je recevrai le premier morceau une fois cuit que je mangerai encore brulant.
Le Chibani a les yeux fixé sur le carton.
« Papa ! ». Aucune réponse.
Le voilà qui se lève et se dirige vers le patio andalou. Il commence ses va et vient en petits pas, s’appuyant sur sa canne. On dirait un enfant qui apprend à faire ses premiers pas.
Je tente ma chance une deuxième fois auprès de lui. Silence.
Il a du chagrin, je le sais, je le sens… je suis angoissée.
D’un geste sec, je me lève et sans plus tarder, je saisi le carton, le fait disparaitre. Ce carton que j’ai rempli de mes vieux souvenirs dont mes trois cahiers et qui a rendu mon vieux père si triste.C carton,je le vois en feu.
C’est décidé je n’emporterai rien. Je vais laisser là mes vieux souvenirs dans la maison où j’ai grandi .Je prends même le soin de les remettre à leur place au grenier et dans ma tête je vois le vieux coquillage placé sur la vieille commode me narguer.
Le Chibani n’est plus triste. Une satisfaction immense illumine son visage .Je suis rassurée, je sens une chaleur qui m’envahit.
Désarmé, mon vieux papa sort son premier sourire du jour .On dirait le soleil qui brille et avec une voix douce il dit :
« Nous prendrons notre repas de midi sous le citronnier du patio ».
Sitôt dit, sitôt fait. Une superbe Maida est dressée sous les nombreuses branches de ce superbe arbre familier. Ce feuillage intense nous a apporté de l’ombre et de la fraicheur et nous a protégé de ce soleil brulant, de ce dimanche printanier sans voix.
L e soir de ce même jour, à neuf heures, je quitte ma ville natale, seule par une nuit magnifique au ciel étoilé.
A l’heure où je termine ces lignes dans mon single, wagon –lit, il est 11 heures du soir, et je pense qu’il est temps de prêter mes yeux aux aveugles ou encore le marchand de sable vient de passer par là.
Ecrit entre Oujda et Guercif la nuit du 22 mai et publié à Rabat le 23 du même mois.