Voyage de la Moudawana à Copenhague
Placée sous le thème "Droits de la famille,genre,loi et religion:expériences du Danemark et du Maroc" le centre danois sur le genre,l'égalité et la diversité,KVINFO a organisé une conférence internationale le 4 et le 5 décembre à Copenhague.
Plusieurs centaines de personnes,universitaires,juristes,chercheurs,militants et acteurs de la société civile se sont penchées sur la question du genre et les moyens mis pour renforcer les droits de la femme et l'accès à la justice pour les marocaines du monde.
Un franc succès pour les organisateurs de cette rencontre de haut niveau,tant par la qualité des interventions que pour le nombre des participants.Après la réussite de la 1ère conférence organisée en novembre de l'année 2013 à Rabat "Moudawana,10 années après ".Deux journées riches en débats et dialogues,programmées lors de ce forum, tenu au Fastsalen,salle des fêtes du Nationalmuseet, où était exposée, entre autres, une importante collection de fourrure,retraçant l'étape préhistorique des régions nordiques.
Photo©khira |
Désormais, avec ce code , l'institution familiale est placée sous la double tutelle du père et de la mère,liés par le contrat du mariage ; les biens sont partagés entre le couple marié ; l'âge du mariage des filles est fixé à 18 ans ; la polygamie est soumise à l'autorisation préalable du juge ; le droit du divorce peut se faire par consentement mutuel ; la femme peut se marier sans l’autorisation préalable de son père ; le code de la nationalité permet à la femme marocaine de transmettre sa nationalité à ses enfants .
Cependant si les aspects positifs de ce nouveau code de la famille méritent d'êtres soulignés,il n'en reste pas moins que quelques problèmes subsistent et persistent dans l'application des lois de ce code,dans le quotidien réel des femmes marocaines. Alors qu'en est- il pour nos femmes et jeunes filles de la communauté marocaine résidant à l'étranger,qui revendiquent à plus d'un titre,leur droit à l'information et à la sensibilisation sur tout ce qui relève des textes juridiques amenés par la Moudawana.
Des avancées certes mais une réalité peu réjouissante !
C'est un panel de femmes d'exception qui ont ouvert le bal des communications programmées pour cette première journée. Les interventions étaient essentiellement centrées sur les aspects positifs mais aussi négatifs de la Moudawana,ses différents apports juridiques et sociaux. Les expertes marocaines en droit international et militantes des droits de la femme ont livré à l'assistance les situations inconfortables vécues par les femmes marocaines du monde,souvent tiraillées entre les lois nationales, celles du pays d'accueil ,les traditions .La pertinence des différentes interventions ont permis l'émergence de certaines remarques que les intervenantes ont souhaité souligner telles que :
-Le code de la famille est plus au moins ignoré, sinon il reste surtout mal assimilé et faussement expliqué pour un nombre important des nos ressortissant marocains ,hommes,femmes et jeunes.
-Une quasi absence de sensibilisation notamment des femmes et des filles aux dispositions du code de la famille.
- Des contraintes sociales et institutionnelles limitant la capacité de ces femmes à exercer pleinement leurs droits que ce soit dans la contraction du mariage , dans le cas du divorce, dans la garde des enfants ou dans le partage des biens.
En conclusion,un sentiment partagé par toutes nos expatriées :celui d'être livrées à elles mêmes,sans aucune assistance , accentué par un silence abyssal des autorités et des représentants consulaires marocains et ce dans la plupart des pays où elles ont élu domicile.
Temps forts et émouvants
Un des moments très fort aussi de cette rencontre et qui a suscité beaucoup d'émotion,le témoignage sur le mariage des mineures au Maroc, suite à une étude faite par une association marocaine qui milite pour les droits des filles.Une pratique qui est en hausse, bien que la loi fixe à 18 ans l'âge du mariage légal pour la jeune fille. Selon cette étude ,les dernières statistiques du ministère de la Justice,révèlent que le nombre de filles mariées avant l'âge 18 ans est passé de 18 341 cas en 2004 à 35 152 en 2013 soit 12% de l’ensemble des mariages. Ces chiffres sont alarmants car ce genre de mariage ne marque pas seulement un arrêt significatif au développement physique et psychique de la fille, il met aussi en péril sa santé,avec tout ce qu'il engendre,grossesses précoces,avortement à risque,mortinatalité entre autres.
Même signal d'alarme,dans le témoignage poignant de la représentante d'une association communautaire basée dans un quartier de la capitale danoise. Les jeunes de cette nouvelle génération,filles et garçons en âge de mariage se trouvent confrontés dans la plupart du temps à des lois du pays de leur résidence et les lois de leur pays d'origine dont ils ignorent tout. Sans oublier de mentionner cette pratique frauduleuse du "mariage à but migratoire. " Une escroquerie sentimentale dont les jeunes filles en sont doublement victimes. Un échec sentimental et un échec personnel avec tous les problèmes qui peuvent surgir pour faire annuler cette union.
Ces témoignages n'ont pas pas laissé de marbre l'ensemble de la délégation de magistrats marocains, spécialisés dans le code de la famille ,venus spécialement pour expliquer le dispositif juridique mis pour la protection des droits de la femme,de l'enfant et de la famille et qui s'applique également à toute la communauté de la diaspora marocaine.
Dans une ambiance purement juridique, les éminents magistrats n'ont pas manqué de rappeler que depuis la nouvelle Constitution de 2011, tous les magistrats jouissaient de toute impartialité et intégrité dans l'exercice de leur fonction judiciaire. Par ailleurs,ils ont exposé la procédure moderne ,importée de la juridiction danoise,à savoir l'utilisation de la réconciliation et la médiation dans les tribunaux marocains de la famille. Bien que cette pratique reste encore à ses débuts, elle a néanmoins donné de très bons résultats dans le règlement des litiges entre les époux.La mise en place des centres d'information auprès des tribunaux marocains de la famille,importée également du Danemark,entrés depuis quelques années dans les mœurs et le quotidien des citoyens marocains, a aussi été donné à titre d'information.
La conférence de la deuxième journée,aussi importante que la première, était centrée sur le droit de la famille,loi islamique, loi juive, Les interventions des éminents professeurs universitaires,nous ont permis une escale dans la vie de la communauté juive, nous ont fourni un regard sur le droit hébraïque,une visite guidée dans les méandres des tribunaux juifs et musulmans .Ces interventions ont suscité un bouillonnement d'idées et de débats vifs de la part de l'assistance,constituant ainsi un petit forum de dialogue inter-culturel ,prônant le respect des droits universels de l'homme,le respect de la diversité culturelle,la paix et la compréhension entre les peuples.
Rendez-vous donc pour un autre rassemblement de ce genre aussi bien pour les chercheurs universitaires,acteurs de la société civile,défenseurs des droits de la femme impliqués,que pour les étudiants et le grand public qui seront conviés à partager leurs réflexions et leurs expériences afin de permettre des croisements de part et d'autres et de travailler ensemble pour des objectifs semblables: le renforcement des droits de la femme avec plus de justice et d'égalité.
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Elles ont dit :
En marge de cette conférence,nous avons recueilli les réactions de certaines participantes .
En marge de cette conférence,nous avons recueilli les réactions de certaines participantes .
Nina Groes
Directrice du centre KVINFO
" La réforme du Code de la Famille fait partie des avancées majeures réalisées par le Maroc ces dernières années. Le centre KVINFO vise à travers plusieurs projets à établir un partenariat entre des institutions danoises et marocaines afin de renforcer l’application des droits des femmes et la mise en œuvre du Code de la Famille au Maroc "
Mette Gjerskov
Députée Sociaux-démocrates
"Sans doute la vie moderne tend à éradiquer toute sensibilité traditionnelle.Cependant nous pouvons contribuer à mettre en valeur certaines traditions anciennes ou oubliées si elles nous conviennent.Comme vous devez le constater,nous nous apprêtons ces jours à fêter Noël ,une des plus anciennes traditions,ce sont là de belles pratiques que nous maintenons. cependant,à titre d'exemple,je pense que c'est absurde de vouloir traire les vaches soi-même alors qu'il existe des machines sophistiquées pour avoir le lait rapidement,dans des conditions plus stériles et plus efficaces"
Laila Hanafi
Avocate internationale,
Université G.Town
" La Moudawana,certainement est une grande révolution pour la femme marocaine,malheureusement, on ne peut constater que cette avancée en matière juridique n'a aucunement apporté de changements dans la condition des femmes marocaines de la diaspora, alors que la plupart d'elles, du moins celles qui résident dans les pays occidentaux,encore moins ici au Danemark, pays des droits de femmes par excellence".
Amina M'harrach
Avocate au barreau d'Agadir,
" Au Maroc comme dans la plupart des pays du monde où réside la communauté marocaine ,le code de la famille, Moudawana sera plus efficace une fois que les femmes et les jeunes filles , seront suffisamment informées et sensibilisées de leurs droits,ce qui n'est pas le cas ici car la Moudawana fait encore l'objet d'une grande méconnaissance ou de malentendus auprès des MRE".
Hakima Lakhrissi |
Centre Amis du Maroc au Danemark
"Les femmes et les jeunes filles vivant ici au Danemark sont très vulnérables et l'un des grands dangers qui les guettent c'est leur ignorance des lois nationales et transnationales et leur manque d'information et d'accompagnement.Elles ont fort besoin d'une sensibilisation et d'un programme d'accompagnement,car contrairement à ce qui se passe les lois les protègent et sont de leur côté"
Naima Korchi
Avocate internationale
Forum Africain Women
"Il est nécessaire la mise en place d'un programme visant à remédier au manque relevé en matière de sensibilisation des familles marocaines installées à l'étranger sur les nouvelles dispositions du code de la famille. Il faut appuyer ce programme et le généraliser à l'ensemble des consulats du Royaume".
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Entretien avec Houda Zekri
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Houda Zekri,Professeure- chercheure en droit,Faculté de droit à Grenade a été invitée par KVINFO d'intervenir à la conférence"Droits de la famille ,genre, loi et religion,partage d'expériences entre le Danemark et Le Maroc".Elle nous parle de sa participation.
Photo©H-Zekri |
1-Quelle a été votre implication dans la programmation de ce débat sur la Moudawana ici à Copenhague ?
J’y ai été invitée par KVINFO pour présenter à titre comparatif le cas du divorce des marocains résidents en Espagne. Les relations juridiques hispano-marocaines étant le sujet de ma thèse de doctorat.
2-Quelle est la particularité de cette 2ème rencontre,sur le droit de la famile ici à Copenhague après elle ,organisée en novembre 2013?
Le contexte est différent. La première conférence s’est tenue à Rabat et le débat était plus technique avec l’objectif de sortir avec des recommandations de révision des articles les plus problématiques au niveau de la pratique. L’assistance était constituée d’experts en la matière : juges, avocats, professeurs universitaires, ONG…
Cette deuxième conférence avait un objectif différent, celui de faire connaitre le code de la famille marocain au grand public danois. Il s’est avéré que le besoin d’information sur cette loi est très important tant parmi les danois que parmi les marocains résidents au Danemark,L’assistance était hétérogène et avait plus besoin de connaitre les nouveautés de la loi.
3-La Moudouana a dix ans,quels sont,selon vous,les principaux obstacles qui freinent son application réelle pour les marocaines comme pour nos expatriées?
Le législateur marocain a laissé une marge de manœuvre au juge pour lui permettre plus de flexibilité dans la pratique tout en respectant l’esprit de la réforme. Cela n’a pas toujours été le cas malheureusement. Il y a eu même des déviations qui ont accentué la discrimination envers les femmes comme c’est le cas de l’article 16 qui a profité à une augmentation du mariage des mineurs. La pratique judiciaire au Maroc connait une disparité en fonction des régions du territoire et cela nuit aux droits des justiciables. Certains articles du code ne répondent pas au le principe de l’égalité recherché et devraient être révisés. En somme, tout le texte doit s’harmoniser avec la nouvelle Constitution marocaine.
En ce qui concerne les marocains résidents à l’étranger, leurs besoins diffèrent d’un pays à l’autre. Au Danemark par exemple, il est ressorti du débat que le besoin d’information juridique est très important. La délégation de juges qui a consacré deux journées pour informer les assistants aux ateliers de leurs droits a fait un excellent travail. Il serait très judicieux de prévoir un service de conseil juridique sur le droit de la famille au sein de
l’ambassade marocaine à Copenhague (et dans d’autres pays) afin de faciliter (et de vulgariser) l’accès des citoyens à l’information juridique.
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